Comme précisé dans la quatrième partie d’”une saison en enfer”, j’ai choisi une autre direction sportive à l’orée de la saison 1999-2000. Après avoir vécu une année difficile en termes de résultats, malgré des progrès individuels conséquents (par la force des choses), j’ai quitté les aiglons de Montréjeau, qui se maintenaient en honneur région (région 3), pour rejoindre le club ariégeois du Carla Bayle, promu en région 2.
J’ai quitté les aiglons pour le coq carlanais… Animal moins prestigieux, il faut l’avouer, mais l’espoir de vivre une saison aux antipodes de la précédente m’aura décidé.
De plus, je me décide à relater cette saison, bien qu’elle fut moins chaotique que la précédente, parce qu’elle m’aura aussi, à sa manière, apporté beaucoup. Un réel contraste avec ma « saison en enfer », vécue en Ariège, la terre courage.
Avant de démarrer sur cette saison sportive 1999-2000, il me paraît important de planter le cadre, qui, vous allez le comprendre par la suite, ne sera pas si anodin que ça.
Le Carla Bayle est un petit village situé sur un piton rocheux perché à 400 m, surplombant deux vallées et offrant une vue imprenable sur les Pyrénées toutes proches. Il s’agit d’une ancienne bastide, des remparts récemment restaurés entourent le village. Le Carla Bayle est connu pour tenir son nom du philosophe Pierre Bayle, qui a un musée à son honneur, mais également pour son usine d’abattage de volailles (paradoxal pour un village dont le nom du club est le « coq » carlanais).
A l’époque où j’ai rejoint le club, il y avait, selon l’INSEE, 645 habitants. Beaucoup de personnes retraitées, pour qui le basket était une sortie dominicale plus importante que la traditionnelle messe. C’était la seule activité sportive qui leur était proposée à des kilomètres à la ronde.
Le Carla Bayle, au sommet de son piton rocheux
Après avoir été contacté par les dirigeants, j’ai été invité à l’assemblée générale du club en juin 1999. A cette occasion, le nouveau coach et les trois recrues dont je faisais partie ont été présentés aux licenciés du club, mais aussi aux villageois qui s’étaient déplacés pour l’occasion.
J’ai senti de suite le poids du village sur le club, et la fierté de porter le maillot de l’équipe 1. La tradition existe, l’engouement populaire aussi. Je n’ai d’ailleurs plus jamais ressenti ceci dans les différents clubs où mon parcours de joueur m’aura amené par la suite.
L’équipe du Carla Bayle montait en promotion excellence régionale avec une ossature expérimentée, mais vieillissante. J’étais surpris lors de nos premiers entrainements de la roublardise de mes coéquipiers, mais aussi du jeu de passe entre intérieurs. Nous avions une équipe sans génie (mais avec toutefois des joueurs de niveau très correct), pas athlétique pour un sou, mais très appliquée et collective.
Pour renforcer le groupe, j’étais recruté en deuxième meneur, pour apprendre le métier auprès de Mickey (pas Mouse, l’autre), dont les genoux portaient le poids des années. Il avait tenu la saison précédente seul à ce poste, et lorsqu’il était absent, un énorme manque se faisait ressentir. Pour y pallier, je venais donc jouer à ses côtés.
Parmi les autres joueurs recrutés, il y avait Laurent, un ailier shooteur qui évoluait en NM3 l’année précédente dans un club voisin, et « Jules » (Souleymane de son vrai nom), un poste 4 sénégalais, qui revenait au club après avoir arrêté un ou deux ans.
Pour nous coacher, le club a fait venir Massamba Gueye. Mass a longtemps joué en NM2, et a été dans sa jeunesse international sénégalais. Il était d’ailleurs arrivé en France à Orthez, avec Benkali Kaba si je ne m’abuse, au début des années 80, mais n’a pas pu jouer puisque le quota d’étrangers était atteint.
Mass inspirait le respect par son parcours, mais aussi par sa pédagogie. Personne ne bronchait avec lui, et nous nous démenions à l’entrainement sous sa direction.
Durant l’été 1999, j’ai suivi méthodiquement la préparation physique concoctée par le coach. J’en ai fait même plus que prévu, tellement j’étais motivé et j’avais envie de briller de suite, bien que je sache que le challenge était de taille.
Préparation le matin, playground l’après-midi… Programme quasi quotidien éreintant, mais tellement passionnant !
Fin août, nous reprenons les premiers entrainements, quasi-quotidiens. D’entrée de jeu Mass donne le ton de la saison en proposant des séances d’une grande intensité. Certains joueurs doivent même s’arrêter pour vomir. Il nous pousse dans nos derniers retranchements.
Heureusement que j’avais suivi sa préparation, et plus encore ! Et malgré ça, les entrainements étaient durs pour moi aussi.
Durs puisqu’au-delà de l’aspect physique où j’ai souffert comme jamais, j’ai dû en plus apprendre une autre manière de jouer et développer d’autres aspects de mon jeu. Ma « survie » dans le groupe était à ce prix.
Dès la première confrontation en 5 contre 5, j’ai voulu montrer mon aptitude à jouer en drive, et bénéficier de mon avantage sur le premier pas face à mon défenseur. J’ai fini plusieurs fois les fesses par terre, repoussé loin du cercle par Mickey, mon adversaire direct.
Celui-ci connaissait pas mal de coups vicieux qui lui aidaient à compenser un physique déclinant. J’ai été surpris lors de cette première séance et je n’ai pu m’exprimer.
Cela dura plusieurs séances avant que j’arrive à m’adapter. Mon physique fluet était mis à rude épreuve, ma patience aussi.
Heureusement, je faisais la route Toulouse-Carla Bayle régulièrement avec Laurent, notre recrue de Nationale 3, qui m’expliquait comment changer ma manière de jouer, comment apporter plus au groupe. Il m’aidait surtout à relativiser, à comprendre et prendre du recul.
J’étais un jeune chien fou en arrivant dans le club, je pensais pouvoir scorer à outrance comme l’année précédente, j’ai finalement compris que je ne pourrais pas. Et que de toute façon, ce n’est pas ce que l’on attendait de moi. Mais il m’aura fallu les trois mois pour m’adapter.
Mon début de saison est très poussif. Je dois jouer une quinzaine de minutes par match, en remplacement de Mickey.
A mi-parcours, nous sommes dans le premier tiers d’une poule extrêmement serrée, grâce à notre invincibilité à domicile.
Le Carla Bayle est en effet « imprenable » dans son fief, notamment par le soutien dont l’équipe dispose à domicile. Tous les matchs font salle comble, le village entier vibre pour ses joueurs. Comme je disais précédemment, je ressens pour la première fois une fierté de porter un maillot, de représenter un village.
Même à l’extérieur, lorsque nous nous déplaçons en bus, il n’est pas rare que certains villageois occupent les places vides pour nous accompagner. Ils prévoyaient généralement le sandwich au magret que nous partagions sur les aires d’autoroute.
A la fin de la phase aller, une feuille de statistiques nous est remise. La mienne est catastrophique : je tourne à moins de 4 points par match, soit 5 fois moins que la saison précédente, je perds plus de ballons que je ne fais de passes décisives. Les seuls points positifs sont les rebonds ( !!!) puisque je suis troisième rebondeur de l’équipe malgré ma petite taille, et l’adresse aux lancers-francs, où je dépasse les 85%.
Je suis au fond du trou. J’ai l’impression de ne servir à rien à l’équipe.
Sauf qu’une discussion avec le coach va me relancer. Il me fait comprendre que les stats ne reflètent pas ce que je pouvais apporter sur le terrain : de la vitesse dans le jeu, de la défense sur les autres meneurs.
Encore beaucoup trop d’imprécisions dans le jeu et sa lecture, ce qui me fait perdre trop de ballons, mais de la vitesse et de la sécurité dans le dribble face aux pressions adverses. Mass me fait comprendre que le meneur titulaire et moi ne sommes pas adversaires, mais complémentaires.
A l’époque, je cantonnais mes stats uniquement aux points marqués, je ne comprenais pas avant cette discussion que je pouvais avoir un impact différemment.
Cet échange, conjugué à la blessure de Mickey m’a boosté : j’étais un joueur important pour l’équipe, et j’allais avoir de plus en plus de responsabilités.
La phase retour se déroula finalement très bien pour moi. J’ai gagné mes galons dans le cinq de départ, mais même après le retour de Mickey, j’ai conservé une place de titulaire. Mon temps de jeu a doublé, mes stats aussi. J’ai pris la mesure du poste de meneur de jeu.
D’abord respecter la philosophie de l’équipe : défendre dur, se mettre ventre à terre.
Puis faire jouer mes coéquipiers : gérer le tempo de l’attaque, savoir quand relancer vite ou quand annoncer les systèmes, faire le bon choix dans l’annonce, assurer la première passe et faire en sorte que l’attaque se déroule comme prévu en plaçant mes partenaires.
Et puis marquer quand plus personne ne s’y attend. J’ai arrêté de forcer mon jeu en essayant à tout prix d’alimenter la marque, par contre, en fin de match, je ressortais de ma boite quand plus personne ne se méfiait pour mettre un ou deux tirs décisifs. J’étais devenu « clutch » à défaut d’être un scoreur, je m’obligeais à sélectionner mes tirs, pour avoir un pourcentage intéressant.
Parmi les faits marquants de cette seconde partie de saison, quelques événements en vrac me reviennent en tête :
– Les entraînements étaient très intenses. Je supportais la charge de mieux en mieux, et je ne me suis jamais mieux senti physiquement dans ma peau que cette année-là. Par contre, lorsque Mass annonçait que l’on jouait 5 contre 5 « mazout », on savait que ça allait être le pire moment de la soirée. Mazout, en gros, c’est « no blood, no foul ».
– Parfois nous étions seulement 9 à l’entrainement. Mais nous jouions quand même en 5 contre 5 : Mass faisait le 10ème. Du haut de ses 45 ans, il mettait la misère à son adversaire direct, quelque soit le poste de jeu qu’il devait occuper. J’ai maudit Mickey pour sa blessure…
– Mass a d’ailleurs fait un match avec nous cette saison-là : Un dunk à l’échauffement (je rappelle qu’il n’était déjà plus tout jeune), et 35 points au final…
– Lors d’un entrainement, je prends une béquille monstrueuse (je rappelle qu’on était en 5 contre 5 mazout). Le dimanche, j’arrive au match en trainant la patte. Mass me donne une crème à étaler sur la cuisse, type baume du tigre… Mais faite maison. La jambe me brulait ! Quand je courrais, ça allait, mais dès que je m’arrêtais, c’était intenable ! J’ai passé le match à bouger, même sur le banc !
– A Valence-Condom, nous faisons un non-match. On doit en prendre 30 dans la vue. Dès le début du match, j’étais le seul à replier. J’ai été postérisé 3 fois… J’ai arrêté de replier moi aussi.
La fin de saison approchait à grands pas, nous étions toujours injouables à domicile, nous avions même fait chuter le leader chez nous, alors qu’ils dominaient la poule. A quatre matchs de la fin, la poule était tellement serrée que l’on pouvait soit monter, soit se maintenir, soit descendre ! Du jamais vu. Au moins, la saison est restée palpitante jusqu’à son terme.
Nous recevions Montaut-les-Créneaux. On gagne, on est en place pour la montée, on perd, on fait une croix dessus, mais en plus on grille un joker pour le maintien.
Je joue toute la première mi-temps sans sortir. En deuxième mi-temps, je dois passer deux ou trois minutes sur le banc. J’ai 4 fautes à huit minutes du terme, et le match est serré.
Je défend à l’opposé de la balle, l’intérieur adverse enroule son défenseur et va déposer un lay-back. Me sentant pousser des ailes, je jaillis en défense sur le joueur, et je contre la balle contre la mousse sous la planche. Mon seul contre de la saison… Ma cinquième faute du match également… Je sors du terrain en me faisant pourrir comme jamais par Mass.
Nous nous inclinerons finalement et nous raterons la montée en prénationale par la même occasion.
Le match suivant, contre Foix, un derby ariègeois, je tue le match avec huit points à une minute trente de la fin de la rencontre. Mes seuls points du match. Je me suis rattrapé des cinq fautes de la semaine précédente.
La saison s’achève avec un maintien bien mérité, bien que nous ayons flirté avec la montée pendant un bon moment.
Mon coéquipier Laurent, avec qui je faisais la route chaque semaine décide de ne pas reprendre l’année suivante. Nous étions les seuls toulousains à se déplacer jusqu’au Carla Bayle. J’ai alors décidé de ne pas continuer non plus, au grand dam de l’équipe, qui m’avait vraiment bien accueilli.
J’ai choisi de rejoindre Tournefeuille, où j’intégrais le staff d’entraineurs avec un projet de championnat de France dans les deux années à venir. J’ai privilégié le coaching au jeu.
Je n’ai pas regretté ce choix, qui m’aura permis d’évoluer en tant qu’entraineur, mais je garde toujours en mémoire les bons moments passés au Carla Bayle. L’année aura été dure, avec un engagement sans faille de chacun, les résultats s’en seront d’ailleurs ressentis. J’ai énormément évolué individuellement, dans ma gestion du jeu, ma défense, mais surtout mon état d’esprit : moins égoïste, plus « patron » sur le terrain.
Mass m’a avoué après coup qu’il pensait que je ne tiendrai pas la saison, que j’allais abandonner après la préparation, à cause de la dureté à laquelle je n’étais pas habitué. Finalement, j’ai gagné mes galons de titulaire et son respect pour n’avoir jamais rien lâché, même si j’étais parfois frustré. J’ai accepté le défi, et la remise en question de ce que je savais faire, de ma manière de jouer. Cette variété me permettra de prendre mes marques plus rapidement dans les différentes équipes où j’irais évoluer par la suite.
Des années après, il me reste ces souvenirs que j’ai souhaité partager, et la fierté d’avoir porté ce maillot, d’avoir joué pour ce village, parfois (tout le temps) chauvin, mais qui est réellement le 6ème homme de l’équipe.
souvenir, souvenir… j’ai adoré ton article!! je suis un joueur du carla bayle , j’ai intégré l’equipe en 2002 et j’y suis toujour encore!! 🙂
on a crée un groupe facebook carla bayle basketball family! tu es le bienvenu dans le groupe si tu a un profil facebook.
quoi dire de plus , tu as tout dit ….mass etait un coach de fou et les entrainement pfffff que c’etait dur!!
a++
freddy nikolic #12